Hervé Cortinat - Photographe
Diên Biên Phu, 50 ans après
Le 7 Mai 1954, le camp français retranché de Diên Biên Phu tombe, après 57 jours de combats acharnés.
D'un côté, près de 50.000 soldats vietminh déterminés à gagner leur indépendance, suralimentés en armes lourdes et légères grâce à leur voisin chinois dont le régime communiste prône la lutte anticolonialiste.
De l'autre, l'élite de l'armée française. 11.000 combattants aguerris, parachutistes et légionnaires, encerclés dans un lieu au choix stratégique douteux, difficilement défendable face à cet ennemi en surnombre. Ils se battent avec un acharnement désespéré. Les survivants sont faits prisonniers et menés dans des camps. La majorité d'entre eux ne reviendront pas.
La chute de Diên Biên Phu marque le début de la débâcle de l'empire colonial français.
50 ans après, une ville s'étend sur les lieux de la bataille, et s'apprête à fêter le cinquantenaire de la victoire vietnamienne.
Dix protagonistes de la bataille, français et vietnamiens, racontent leurs histoires respectives. Anciens officiers, sous-officiers, hommes du rang, infirmières, médecins. Chacun a vécu les combats à sa façon et témoigne.
"Je veux que mes cendres soient larguées sur Diên Biên Phu, pour rejoindre les soldats que je n'ai pas pu ramener et puis aussi pour emmerder les deux gouvernements, Français et Vietnamien."
Ancien professeur d'histoire, le Général Vo Nguyên Giap est considéré comme le vainqueur de Diên Biên Phu. Ce fin tacticien achemina à travers la jungle l'artillerie lourde vietminh. Elle sera un élément décisif de la victoire. Il meurt en 2013 à l'âge de 102 ans.
"Son souvenir le plus marquant : le geste héroïque d'un de ses camarades qui s'est jeté sur une grenade pour protéger ses amis de l'explosion. Il se rend régulièrement au cimetière de Diên Biên Phu pour lui rendre hommage".
"Je n'ai fait que mon devoir." Seule femme dans l'enfer de la bataille, Geneviève de Galard sera célébrée dans le monde entier. Les Américains la surnommeront, "l'ange de Dien Bien Phu". Elle aura droit à la parade des confettis sur Broadway et la 5ème Avenue. En France, elle fera plusieurs fois la couverture de Paris Match.
Il est médecin, elle est infirmière. Ils s'aiment depuis 1950 mais se sont promis de ne s'épouser qu'après la victoire. L'armée leur organise des noces quelques jours après la bataille. Les repas sont confectionnés à partir des rations françaises parachutées par erreur dans leurs lignes.
Enrayer des hémorragies, panser des blessures abdominales, amputer des membres déchiquetés…. Voici le quotidien du Docteur Gindrey à Diên Biên Phu. 50 ans après, les cauchemars viennent parfois le hanter. Il revoit les cadavres et les opérations désespérées.
"Nous étions 173 au moment de monter à l'assaut. Seuls 37 d'entre nous sont revenus. Notre armée était mal ravitaillée. Un jour, J'ai eu tellement soif que j'ai uriné dans mes mains pour boire… J'ai vu beaucoup de corps sans bras, sans jambes, sans têtes. C'était mes camarades, je ne pourrai jamais oublier".
Ancien parachutiste, Ernest Duffort doit aujourd'hui la vie à son voisin de tranchée. Alors qu'il était blessé, ce dernier lui a évité d'être achevé à bout portant par un soldat vietnamien. Les combats se terminaient souvent au corps à corps. "Si tout était à refaire, je le referais". Après la chute du camp, il a subi la captivité et a dû parcourir 800 km à pieds dans la jungle.
Durant la bataille, Hoang Dang Vinh a vécu avec ses soldats sous terre et dans des tunnels. Il n'en sortait que pour combattre. Le 7 Mai, il a envahi le QG français : "J'ai capturé le Général de Castries. Il a refusé de lever les bras jusqu'à ce que je lui pose le canon de mon fusil de sur le ventre".
50 ans après, l'ancien Lieutenant pose avec son ancêtre Gay-Lussac, illustre chimiste du 19ème. Il préfère se consacrer à sa généalogie, plutôt que de se plonger dans des ouvrages sur la bataille. Légionnaire, Guy de La Malène dirigeait des soldats Thaï. A la fin des combats, il est envoyé en captivité dans un camp où il affronte la maladie et la mort.
Assis près de la cabane où dormait le Général Giap. Le milicien, a vécu à quelques mètres du QG du Général sans être informé de sa présence tenue secrète. Son village était coupé en deux. D'un côté les civils, de l'autre les militaires. "Lorsque j'ai su qu'il était dans mon village, j'ai ressenti une grande fierté".
Au champ de bataille d'il y a 50 ans, s'est substituée une ville de province qui croît de jour en jour. En 1994, la ville ne comptait qu'un seul hôtel. Ils se multiplient continuellement. Les commerces fleurissent, vélos et motos arpentent les rues.
Lors du siège de Diên Biên Phu une section de soldats français est positionnée sur Eliane 2, une petite colline du camp retranché. Le vietminh creuse un tunnel dessous, et la fait exploser, tuant tous les hommes, et ouvrant un trou béant dans le sol. Conservé jusqu'en 2004, le cratère est rénové à l'occasion de la commémoration du cinquantenaire de la bataille.
Le QG du général de Castries, et le cimetière vietnamien sont des lieux de visite préférés des touristes locaux. Les dépouilles des soldats français qui reposent encore sous le bitume de la ville n'ont eu droit qu'à un unique mémorial érigé par un ancien légionnaire.